Tammurriata nera : traduction en français de la célèbre chanson napolitaine

SUDANZARE

La maison de la tarantella à paris

Par Tullia Conte

En 1945, Edoardo Nicolardi est directeur administratif d’un hôpital à Naples. Un événement « étrange » survient au service de maternité : une jeune napolitaine donne naissance à un bébé à la peau noire. Certains cherchent des explications : peut-être y a-t-il des phénomènes que la science ne peut expliquer ? En réalité, la situation est claire. L’année précédente, des soldats américains, parmi lesquels de nombreux hommes afrodescendants, étaient arrivés à Naples. Depuis lors, les cas de bébés nés avec la peau foncée étaient devenus fréquents.

Nicolardi assiste à la déclaration de la femme qui venait d’accoucher. Elle affirmait que c’était son fils et qu’elle l’élèverait seule malgré tout.

Nicolardi, qui avait déjà écrit les paroles de chansons napolitaines à succès, dont la célèbre « Voce ‘e notte » de 1904, rentre chez lui et écrit les paroles d’un chanson. Son beau-père, E.A. Mario, musicien très célèbre (auteur entre autres de « La Leggenda del Piave« , le chant historique le plus célèbre de la Première Guerre mondiale), la met immédiatement en musique. Il en résulte une chanson ironique et délicate, l’une des plus belles et entraînantes de l’histoire de la chanson napolitaine. La chanson devient peut-être le meilleur témoignage des conditions de vie dans le Naples de l’immédiat après-guerre et dans toutes les villes italiennes où la vie reprend lentement.

Les « enfants de la guerre »

Parmi les enfants nés pendant la guerre en Italie, ceux de Naples sont sans doute les plus célèbres, en grande partie grâce à la chanson « Tammurriata nera » et à James Senese, musicien renommé, fils d’une Napolitaine et d’un soldat afro-américain. Les « enfants de la guerre », comme on les appelle, représentent l’un des nombreux aspects douloureux des conflits armés qui touchent toutes les régions du monde. Le viol des femmes dans les territoires conquis est l’un des aspects les plus tragiquement négligés des guerres. Cinq ans plus tard, le roman de Malaparte, « La Peau », provoqua un scandale et l’auteur fut détesté en Italie.

Tammurriata nera » est l’une des premières chansons napolitaines à figurer dans les films d’après-guerre. En 1948, Vittorio De Sica l’a incluse dans « Ladri di biciclette ». Elle accompagne une longue scène dans une trattoria où les deux protagonistes du film, Antonio Ricci et son jeune fils Bruno, s’octroient un bref mais précieux moment de répit.

La chanson a été lancée par Vera Nandi et parmi les premiers à la rendre célèbre il y avait Renato Carosone.

Traduction napolitain-français

(source : antiwarsongs)

Io nun capisco, ê vvote, che succede…

e chello ca se vede,

nun se crede! nun se crede!

E’ nato nu criaturo niro, niro…

e ‘a mamma ‘o chiamma Ciro,

sissignore, ‘o chiamma Ciro…

Je ne comprends pas ce qui se passe parfois

tu ne crois pas tes yeux, non, tu ne crois pas.

Un bébé naît et il est tout noir,

et sa mère l’appelle Ciro, ouais,

elle l’appelle Ciro !

Séh! gira e vota, séh…

Séh! vota e gira, séh…

Ca tu ‘o chiamme Ciccio o ‘Ntuono,

ca tu ‘o chiamme Peppe o Giro,

chillo, o fatto, è niro, niro,

niro, niro comm’a che!…

T’as beau dire ce que tu veux,

ouais, tout ce que tu veux,

qu’on l’appell’ Ciccio ou Antonio,

qu’on l’appell’ Peppe ou Ciro,

‘y est tout noir, tout noir, noir comme le charbon…

‘O contano ‘e ccummare chist’affare:

« Sti fatte nun só’ rare,

se ne contano a migliara!

A ‘e vvote basta sulo na guardata,

e ‘a femmena è restata,

sott »a botta, ‘mpressiunata… »

Les commères ne parl’nt que de ça,

C’est pas si rare, on l’voit très souvent.

Parfois il suffit d’un p’tit regard

Pour qu’une femme soit frappée,

Ouais, soit frappée

Séh! na guardata, séh…

Séh! na ‘mpressione, séh…

Va’ truvanno mo chi è stato

ch’ha cugliuto buono ‘o tiro:

chillo, ‘o fatto, è niro, niro,

niro, niro comm’a che!…

Un p’tit regard, bien sûr…!

Elle rest’ frappée, que oui…!

Va savoir à qui c’est la faute,

Qui a touché si bien la cible,

Mais le bébé est tout noir, noir comme le charbon…

Ha ditto ‘o parulano

« O parulano » désigne celui qui vient de la région appelée « ‘e pparùle » (c’est-à-dire les marais), une zone près de Naples (actuellement Ponticelli), qui conserve encore ce nom aujourd’hui. C’était le lieu où partaient les vendeurs de fruits et légumes cultivés dans cette zone très fertile près de la ville.

« Embè parlammo,

pecché, si raggiunammo,

chistu fatto nce ‘o spiegammo! Chistu fatto ‘nce ‘o spiegammo.

Addó’ pastíne ‘o ggrano, ‘o ggrano cresce…

riesce o nun riesce,

sempe è grano chello ch’esce! »

Un paysan a dit qu’il faut en discuter,

Car tout s’explique bien, il suffit d’y réfléchir.

Là où on sème du blé, le blé pousse

Et c’est toujours du blé, ce n’est pas difficile.

Mé’, dillo a mamma, mé’…

Mé’, dillo pure a me…

Ca tu ‘o chiamme Ciccio o ‘Ntuono,

ca tu ‘o chiamme Peppe o Giro,

chillo…’o ninno, è niro, niro,

niro, niro comm’a che!…

Bon!.. va dire ça à ta maman, toi…!

Bon!.. dis-le à moi aussi!

C’est allé comment, alors…?

Ciccio ou Antonio, Peppe ou Ciro,

Mais le bébé est tout noir, noir comme le charbon !…

Seh ‘na guardata seh
seh ‘na ‘mprissione seh
và truvanno mò chi è stato

c’ha cugliuto buono ‘o tiro
chillo ‘o fatto è niro niro, niro niro comm’a cche…

Un p’tit regard, bien sûr…!

Elle rest’ frappée, que oui…!

Va savoir à qui c’est la faute,

Qui a touché si bien la cible,

Mais le bébé est tout noir, noir comme le charbon.

‘E signurine ‘e Capodichino
fanno ammore cu ‘e marrucchine,
‘e marrucchine se vottano ‘e lanze,
e ‘e signurine cu ‘e panze annanze.

Les demoiselles de Capodichino

font l’amour avec les ricains,

Les ricains avec enthousiasme,

Les demoiselles s’arrondissent.

American espresso,
damme ‘o dollaro ca vaco ‘e pressa
sinò vene ‘a pulisse,
mette ‘e mmane addò vò isse.

Café américain,

Donne-moi des dollars, dépêche-toi,

Sinon les poulets vont arriver

Et c’est eux qui se dépêchent.

Aieressera a piazza Dante
‘o stommaco mio era vacante,
si nun era p »o contrabbando,
ì’ mò già stevo ‘o campusanto.

Hier soir en la place Dante

Je m’sentais le ventre creux,

Si on fait pas de la contrebande,

Bien, on nous enterre tous.

E levate ‘a pistuldàuè e levate ‘a pistuldà,e pisti pakin mamae levate ‘a pistuldà.

*Cette strophe, déformée, rapporte une chanson anglaise à la mode à l’époque, souvent chantée entre eux par les soldats américains ; ne connaissant pas cette langue, les Napolitains la comprenaient de cette manière.

« Pistol Packin’ Mama » d’Al Dexter (en tête des charts américains le 30 octobre 1943 et dont la version la plus célèbre est interprétée par Bing Crosby avec les Andrews Sisters), probablement très populaire parmi les soldats américains venus libérer Naples.
Lay that pistol down, babe,
Lay that pistol down.
Pistol packin’ mama,
Lay that pistol down.

Et leï ze pistole daoun’,

Leï ze pistole daoun’,

Pistol’ paquine maman,

Leï ze pistole daoun’.

Les dernières strophes, qui ne sont pas de Edoardo Nicolardi, étaient inventées par ces petits groupes qui se promenaient dans les rues juste après la guerre (déformations de la vieille chanson populaire napolitaine).

‘E signurine napulitane
fanno ‘e figlie cu ‘e ‘mericane,
nce vedimme ogge o dimane
mmiezo Porta Capuana.

Les demoiselles napolitaines

Font des bébés avec les ricains,

on s’ voit aujourd’hui ou demain

près de la porte Capouane.

Sigarette papà
caramelle mammà,
biscuit bambino
dduie dollare ‘e signurine.

Des cigarettes pour papa,

Des bonbons pour maman,

Des friandises pour les enfants,

Deux dollars pour les filles.

E Ciurcillo ‘o viecchio pazzo
s »è arrubbato ‘e matarazze
e ll’America pe’ dispietto
ce ha sceppato ‘e pile ‘a pietto.

Et Tchourtchile, ce vieux salaud,

Volait des matelas,

Et l’Amérique pour l’embêter

Lui a tiré les poils de la poitrine.

Aieressera magnai pellecchie
‘e capille ‘ncopp »e recchie
e capille e capille
e ‘o decotto ‘e camumilla…
‘O decotto,’o decotto
e ‘a fresella cu ‘a carna cotta,
‘a fresella ‘a fresella
e zì moneco ten »a zella….

tene ‘a zella ‘nnanze e arreto
uffa uffa e comme fete
e lle fete e cane muorto
uè pe ll’anema e chillemmuorto.

Hier soir j’mangeais des épluchures

Avec mes cheveux sur les oreilles,

Mes cheveux, mes cheveux,

Un’ tisane de camomille,

La camomille, la camomille,

Du pain dur et du pot-au-feu

Du pain dur en croûtes

Et le curé a attrapé la gale,

Attrapé la gale partout,

Putain, ce qu’il pue…!

Il pue le chien mort,

Que le diable l’emport’…!

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